25.
Maux de tête et crâne d’acier
Les sons traversaient un long tunnel qui les déformait, les voix paraissaient plus graves, les mots plus hachés.
Il faisait tour à tour trop chaud puis trop froid.
Il fallut du temps avant que Matt puisse comprendre un mot, puis un autre, que les phrases s’assemblent.
Quelqu’un parlait fort, très fort, trop fort :
— Alors, où est-il ? Ah, le voici ! Montrez-moi son visage. Oui ! C’est lui ! Aucun doute ! Vous êtes certain qu’il n’est pas mort ?
— Catégorique, monsieur le Conseiller, l’officier qui l’a examiné n’est pas très compétent. Il n’a pas su trouver son pouls mais je l’ai ausculté moi-même et puis vous garantir qu’il est en vie. Ce curieux gilet lui a probablement sauvé la vie. Il reviendra à lui bientôt.
— Et ce qu’on m’a rapporté à propos de sa force prodigieuse, est-ce vrai ?
— Je le crains, monsieur, à ce qu’on m’a dit, peu d’hommes sur nos terres seraient capables de rivaliser avec la sienne ! C’est incroyable !
— Sait-on pourquoi il a agressé nos troupes ?
— Pour libérer un chien ; oui, je sais, c’est étrange. Il faut dire que c’est un chien un peu singulier, il fait plus d’un mètre cinquante au garrot.
— Vous avez trouvé ses affaires, c’est ce sac ?
— En effet, il n’avait pas grand-chose sur lui, mais en sondant les environs, nous avons découvert ceci.
— Très bien. Je les prends. Ainsi que le chien, s’il avait de l’importance pour lui, je veux l’avoir avec moi.
— Je ne l’ai pas encore déshabillé pour la Quête des Peaux, dois-je le faire ?
— Inutile, nous verrons cela en haut lieu. Je vais me détendre un peu, prévenez-moi dès qu’il reviendra à lui.
Matt entendit des pas s’éloigner, des portes claquer et la sensation de chaud-froid reprit de plus belle.
Il alterna les somnolences et les épisodes de semi-conscience au cours desquels il ne parvenait pas à bouger mais pouvait entendre et sentir. Tout était calme. Une odeur huileuse, assez désagréable, flottait autour de lui.
Il parvint enfin à ouvrir les paupières, il se trouvait sur une table au centre d’une grande pièce éclairée par des lanternes à graisse qui produisaient cette odeur nauséabonde.
Son corps était très douloureux. Il avait l’impression que son cerveau palpitait contre l’intérieur de sa boîte crânienne.
— Ah, je vois que tu reviens à toi, c’est très bien. Tu veux un peu d’eau peut-être ? Il faut boire, ne pas te déshydrater.
Un quadragénaire aux cheveux hirsutes et à la barbe fournie lui redressa la tête en lui portant un gobelet d’eau claire aux lèvres.
Quand il tourna le dos, Matt voulut se lever et constata qu’il était attaché à la table. De larges sangles en cuir. Même en donnant le meilleur de lui, il ne pouvait les déchirer. Ses épaules, ses côtes et ses bras l’élancèrent vivement, aussi abandonna-t-il tout effort pour ne pas reperdre connaissance, il se sentait très faible.
L’homme n’était plus dans la pièce. Il revint accompagné d’une autre personne enveloppée dans une grande cape en velours rouge. Un homme d’une cinquantaine d’années, visage sec et aride, regard de rapace sous une broussaille de sourcils blancs. Une plaque d’acier moulait parfaitement son crâne.
— Quel est ton nom ? demanda-t-il sans aucune douceur.
Matt parvint à déglutir, mais pas à parler.
L’homme saisit le poignet de Matt et le tordit d’un coup, arrachant une vive douleur à l’adolescent qui poussa un cri perçant.
— Alors ? insista le tortionnaire.
— Matt…, gémit l’adolescent. Matt Carter.
— Que fais-tu ici ?
— Je… je…
Comme il parlait doucement, l’homme dut se pencher pour entendre :
— Je cherche à… cracher dans l’oreille du Cynik le plus stupide que je croiserai, dit Matt en crachant le peu de salive qu’il avait.
L’homme se redressa lentement, il alla chercher un morceau d’étoffe avec lequel il s’essuya puis il se posta au-dessus de Matt.
D’un coup, il frappa l’abdomen du garçon, juste là où ses ecchymoses étaient les plus vives.
Puis, l’homme recommença, encore plus fort.
Matt hurla.
— Je disais donc : que fais-tu ici ?
Matt tenta de reprendre son souffle, le cœur palpitant de douleur.
— Je me suis perdu, lança-t-il entre deux hoquets.
L’homme serra le poing, menaçant à nouveau.
— Je vous le jure ! insista Matt. Je cherchais un passage vers le Sud et je me suis retrouvé ici !
— Pourquoi vers le Sud ?
— Pour rencontrer Malronce, votre reine.
L’homme accusa le coup, un de ses épais sourcils relevé.
— Que lui veux-tu ?
— C’est plutôt à moi de lui demander ce qu’elle me veut, j’ai vu les avis de recherche avec mon portrait, expliqua Matt des larmes plein les yeux.
L’homme le scrutait attentivement, cherchant à séparer le vrai du faux.
— Très bien, dit-il en s’éloignant. Qu’on le transporte sur mon navire. Mon garçon, je vais exaucer ton vœu. Tu vas rencontrer Malronce. (Il fit une grimace où se mêlaient dégoût et cruauté :) Mais je ne pense pas que ça va te plaire.